Communiqué de presse du 17 mai 2018

Communiqué de presse du 17 mai 2018

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Paris, le 17 mai 2018

L’association Coup de Pouce-protection de l’enfance entend exprimer sa colère et son inquiétude à la suite du vote, la nuit dernière, de la loi relative aux violences sexuelles et sexistes, qui s’est totalement éloignée de l’objectif initial d’ « inscrire clairement dans la loi qu’en deçà d’un certain âge, il n’y a pas de débat sur le fait de savoir si l’enfant est ou non consentant » (Marlène Schiappa, lemonde.fr du 15/10/17).
Cette loi se révèle être inutile en l’état de sa rédaction, inapplicable dans bien des cas, et n’assurer aucune protection supplémentaire des enfants victimes.

En effet, en ajoutant dans la définition du viol que, pour les mineurs de 15 ans, « la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour consentir à ces actes », le législateur ne fixe aucun principe impératif ou règle contraignante, contrairement à ce qui était attendu, et apporte une précision dont les juges n’avaient nul besoin.
Pire, en faisant référence à la notion de « discernement », beaucoup trop floue pour figurer dans un texte de droit pénal, la loi se refuse à poser un principe général de non-consentement des enfants à un acte sexuel et se défausse sur les juges en privilégiant un examen au cas par cas, qui a abouti aux désastres que sont les affaires de Pontoise et de Meaux, malheureusement très loin d’être des affaires isolées.

Par ailleurs, on sait bien que dans la majorité des affaires de viols ou d’agressions sexuelles sur mineurs, la plainte peut être déposée de nombreuses années après les faits.
Comment la Justice, saisie d’une plainte d’une personne âgée de 30 ans par exemple, pourrait-elle examiner la question du « discernement » de cette victime 20 ans plus tôt ?
En réalité, cette disposition non seulement n’apporte strictement rien à la protection des enfants victimes mais sera dans la plupart des cas inapplicable.

En refusant de poser un principe clair qu’un enfant ne peut jamais consentir à un acte sexuel, le législateur s’obstine à maintenir un système juridique absurde et unique en Europe.
Aucune disposition de cette loi n’empêchera de considérer qu’un enfant a pu consentir à son propre inceste.
Si un enfant dit avoir été violé par son père, on continuera à débattre de son possible consentement, au mépris de tout bon sens, puisqu’on se refuse à considérer qu’un enfant agressé par son père est nécessairement contraint.

Aucune disposition de cette loi n’empêchera de considérer qu’un enfant en bas âge a pu consentir à un acte sexuel quelconque.
Et puisque cette loi n’introduit aucune distinction particulière pour les enfants en « très bas âge », on continuera à avoir un Code pénal d’un autre âge, qui exige de prouver qu’un enfant de 3 ans ou même un nourrisson a bien été contraint avant d’oser parler de « viol ».

En refusant d’affirmer que pénétrer un enfant est un viol et de poser un principe clair de non-consentement des jeunes mineurs à un acte sexuel, cette loi envoie un message délétère aux victimes comme aux agresseurs potentiels.
Comment peut-on espérer lutter efficacement contre ce fléau des violences sexuelles sur mineurs, si la loi elle–même est ambigüe ?

Les responsables de la majorité présidentielle ont rabâché le « risque d’inconstitutionnalité » en cas d’instauration d’une présomption de contrainte ou de non-consentement, estimant que cela constituerait une « présomption de culpabilité » contraire au respect de la présomption d’innocence figurant dans nos textes constitutionnels (déclaration des droits de l’homme) ou conventionnels (convention européenne des droits de l’homme).

Or, il est totalement erroné, et même inquiétant, de prétendre qu’il s’agirait d’une présomption de culpabilité (« comme dans les dictatures » s’est même cru autorisé à dire un magistrat !).

Une présomption de culpabilité consiste à demander à un accusé de prouver son innocence, ce qui est évidemment inacceptable. Mais rien de tel en l’espèce !
La présomption de « non-consentement », comme son nom l’indique à priori clairement, ne s’applique qu’à un des éléments constitutifs de l’infraction, en l’occurrence la contrainte (ou non-consentement).
Avec cette présomption, un accusé ne pourra plus prétendre que l’enfant a pu consentir à l’acte mais pourra parfaitement contester la réalité de l’acte lui-même (élément matériel de l’infraction), ou encore plaider qu’il ne connaissait pas et ne pouvait connaître l’âge réel du mineur (élément intentionnel).
Il est donc bien évident qu’il y aura toujours une enquête sur tous ces points, que chaque parole sera prise en compte, et que l’accusé ne sera pas condamné « sans procès » comme entendu dans la bouche d’un député ( ?!), ou sans avoir pu « exercer les droits de la défense » comme entendu dans la bouche d’un autre !
Cette présomption ne sera donc, bien entendu, pas suffisante à caractériser tous les éléments de l’infraction et ne signifie nullement une condamnation automatique.

En outre, d’autres pays ont adopté une telle présomption de non-consentement (Belgique par exemple) sans que la Cour Européenne des Droits de l’Homme ait jamais condamné ces Etats pour non respect de la Convention européenne des droits de l’homme.

Contrairement à ce qui est prétendu, une présomption de contrainte ou de non-consentement respecterait donc notre Constitution et nos engagements internationaux.

Ces contre-sens juridiques sont en réalité un abri ou un faux prétexte pour cacher l’impossibilité de nos politiques de faire primer l’intérêt et la sécurité des enfants.

Ainsi, de nombreux pays ont compris que la protection des enfants nécessitait de poser ce principe de non-consentement : de la Tunisie, récemment, (loi du 11 août 2017), qui affirme très clairement qu’il ne peut y avoir de consentement pour les mineurs de moins de 16 ans, à l’Angleterre qui dispose, elle, d’une présomption irréfragable d’absence de consentement depuis 1956…

La loi votée cette nuit constitue même une régression car le phénomène de correctionnalisation des viols, dramatique pour les victimes et maintes fois dénoncé, ne pourra qu’être accentué par la consécration de « l’atteinte sexuelle avec pénétration » punie désormais de 10 ans d’emprisonnement.
En effet, comment peut-on croire que les juges, déjà enclins à correctionnaliser dans de nombreux cas, ne vont pas privilégier de plus fort la qualification « d’atteinte sexuelle avec pénétration » qui les dispense de tout débat relatif au consentement et à la contrainte et augmente maintenant la peine encourue ?

Or cette correctionnalisation est un poison pour les victimes, qui ne veulent pas d’une justice expéditive mais d’une justice éclairée. Pas d’instruction préalable, pas de huis-clos de droit si la victime le demande, régime de prescription beaucoup moins favorable à la victime, et une affaire examinée en 2 heures alors qu’elle nécessiterait 2 ou 3 jours devant une Cour d’Assises : comment oser soutenir que ce régime est une solution satisfaisante pour les enfants victimes ?

Par ailleurs, cette qualification d’atteinte sexuelle est une monstruosité juridique en ce qu’elle valide l’hypothèse qu’un mineur de moins de 15 ans pourrait consentir à un acte sexuel (« sans contrainte, menace, violence ou surprise » : article 227-25 du Code Pénal).
Loin de l’abroger comme plusieurs voix le proposaient (par exemple la mission pluridisciplinaire ordonnée par le Premier Ministre ainsi que des professionnels et associations de protection de l’enfance), la majorité présidentielle entend étendre son champ d’application !
Comment peut-on sérieusement justifier que la bonne solution, protectrice des enfants, serait d’étendre un régime qui présuppose qu’un enfant de 3, 6 ou 11 ans peut être consentant pour être pénétré par un adulte ?

Est-on à ce point ignorant du droit des enfants pour ne pas s’offusquer à l’écoute d’une telle affirmation ?? Peut-on nous préciser dans quelles hypothèses, justifiant un « examen au cas par cas », un enfant de 6, 9 ou 11 ans peut être consentant à un acte de pénétration par un adulte ?

Les débats devant l’Assemblée Nationale cette semaine ont finalement montré que nos politiques n’accordent que peu d’intérêt à ces questions, malgré les discours de façade, et en conséquence, multiplient les inexactitudes et contre-sens juridiques.
Comment ne pas s’émouvoir ainsi que seuls 149 députés aient été présents dans l’hémicycle au moment de voter le très controversé article 2 du projet de loi ?
N’y a-t-il qu’un représentant de la Nation sur quatre à considérer que ces sujets sont dignes d’intérêt ? Comment ne pas considérer que cette prétendue « grande cause du quinquennat » est plus une posture qu’un engagement réel ?

Enfin, il est totalement faux de prétendre que ce texte serait « le fruit d’un long travail de concertation », alors que le projet de loi débattu s’est contenté de reprendre les propositions frileuses du Conseil d’Etat, et a superbement ignoré – excusez du peu – les conclusions du Haut-Conseil à l’égalité hommes-femmes, les conclusions de la mission pluridisciplinaire ordonnée par le Premier ministre (rapport du 1er mars 2018), ou les propositions de la délégation du droit des femmes, toutes rejetées en commission ou à l’Assemblée…

A l’heure où l’Espagne s’insurge contre des décisions judiciaires absurdes, la France elle, renonce et fait le choix de maintenir un système absurde où, au nom de la protection de l’enfance, on finit toujours par protéger…les adultes.

Pascal CUSSIGH
Avocat et Président de l’association Coup de Pouce – Protection de l’Enfance

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