Déroulement du Procès du père Preynat par « DALLOZ ACTUALITE »

Déroulement du Procès du père Preynat par « DALLOZ ACTUALITE »

par Marine Babonneau, Dalloz Actualité

Le procès du prêtre Bernard Preynat poursuivi pour agression sexuelle sur dix scouts, âgés de 7 à 15 ans entre 1986 et 1989, débute mardi. Il encourt jusqu’à dix ans de prison.

Le procès du père Preynat renvoyé d’une journée en raison des grèves

à Lyon le 13 janvier 2020

Le tribunal correctionnel de Lyon, qui doit juger l’ancien prêtre du diocèse lyonnais Bernard Preynat pour atteintes sexuelles par violence, contrainte, menace ou surprise sur dix mineurs entre 1986 et 1989, n’a pas fait droit à la demande du bâtonnier lyonnais de renvoyer le procès afin de faire face au mouvement de grève des avocats contre la réforme des retraites. La présidente du tribunal, Anne-Sophie Martinet, a opté pour la voie médiane, préconisée par certains avocats des dix parties civiles : un renvoi d’une journée.

Après les jets de robe, l’accrochage. Les avocats lyonnais, venus nombreux, ont pendu leurs robes aux balustrades du tribunal de grande instance de Lyon. Quelques pancartes affichaient le désormais rituel « Foutez-nous la paix ! » prononcé par l’avocat parisien Xavier Autain lors d’un débat télévisuel. Ils ont applaudi longtemps leur rassemblement, porté par le bâtonnier et filmé par les dizaines de caméras dépêchées pour l’ouverture du procès du père Preynat, qui comparaît pour atteintes sexuelles. Certains sont entrés dans la salle d’audience, avec leur rabat rouge. Et puis est arrivé lentement le prévenu, un monsieur à la barbe blanche, protégé par son avocat, Me Frédéric Doyez. Encerclés par les objectifs, ils ne cillent pas. Bernard Preynat s’assoit. Il y a deux chaises, il a l’air bien seul. « Vous sortez ! », intiment les policiers. « Respectez ce qu’on vous dit. Vous aurez le temps de l’interviewer après », maugrée un policier. « Non, non », lapide son avocat.

L’audience débute et Serge Deygas, bâtonnier lyonnais, sollicite le renvoi de l’audience. « Le barreau de Lyon a voté à la quasi-unanimité la poursuite du mouvement sauf si, dans la journée, il devait y avoir des éléments rassurants de la réunion prévue à la Chancellerie. […] La position du barreau, c’est celle de 100 % des barreaux français. […] Nous sommes des professionnels indépendants, et faire sortir notre régime autonome pour un régime universel est difficilement acceptable. […] Le projet de loi prévoit l’augmentation de nos cotisations, son doublement, ce qui conduit à une très grande inquiétude pour les cabinets les plus modestes. […] Ce projet compromet notre modèle d’organisation et d’assistance des plus démunis. […] Ce combat n’est pas catégoriel, la grève est dure, elle est exceptionnelle, nous renonçons à l’exercice d’une mission fondamentale pour un intérêt supérieur : le maintien de notre modèle. Nous avons conscience des difficultés que cela pose, tout cela est grave et préjudiciable pour le justiciable, pour les magistrats, pour les avocats. Et nous avons conscience que ce procès est particulier, qu’il est très important, qu’il s’agit d’une affaire lourde pour votre juridiction, mais il n’y a pas lieu de faire un traitement spécial dans le cadre de ce mouvement. […] Cela est douloureux pour les victimes mais chaque affaire est importante. Pour l’ensemble de ces raisons, au nom du barreau de Lyon, des 3 518 avocats qui le composent, nous demandons le renvoi », a conclu l’avocat.

Le tribunal a interrogé chaque avocat des dix parties civiles et leurs clients. Ces derniers se sont levés et ont exprimé leur compréhension du mouvement. Mais ils veulent aller « vite », que « cette affaire soit jugée le plus rapidement possible », après cinq années d’attente que la procédure soit close. Ils demandent une journée de renvoi, « pas plus ». Certains de leurs conseils sont d’accord. En raison de l’état de santé du prévenu, le renvoi total risquerait de compromettre la tenue du procès. « Ce serait prendre un risque terrible en cas d’extinction naturelle du procès. » Dominique Sauves, la procureure, est absolument contre. Renvoyer ce procès serait faire droit à une revendication « totalement étrangère au dossier » sans compter que l’organisation de l’audience a nécessité des moyens logistiques importants. Compromettre un procès en raison d’un rendez-vous à la Chancellerie n’a pas de sens, même si les revendications des avocats sont « légitimes ». « Je ne puis accepter », clôt le parquet.

La défense est un « peu écartelée » mais, estime Me Frédéric Doyez, « je m’étais dit que j’écouterais les victimes » pour ne pas être taxé de procéder « à des demandes dilatoires » en vue d’échapper à un procès. « Je ne veux pas que, demain, il soit dit que ce renvoi a été fait la demande de Bernard Preynat. […] C’est terrible pour les victimes. » Ce procès, « cet instant de rencontres », s’il était renvoyé, remettrait ce moment « à un temps incertain ». Me Doyez est d’accord pour une journée de renvoi. « Et vous, M. Preynat », interroge la présidente. L’homme de 75 ans regarde son avocat, la présidente l’invite à se lever. Bernard Preynat veut aller « le plus vite possible ». « Cela fait cinq ans que la procédure a commencé. J’ai entendu la souffrance de ces personnes pour lesquelles je suis coupable. »

À 11 heures, l’audience est renvoyée. Elle reprend mardi matin.

source:  https://www.dalloz-actualite.fr/flash/proces-du-pere-preynat-renvoye-d-une-journee-en-raison-des-greves#.XiG9YchKghQ

Le procès du père Preynat: « A l’époque, c’étaient des câlins et des caresses »

le 14 janvier 2020

Il y a dix parties civiles. Derrière, sur les bancs du public, les « victimes prescrites », déjà présentes lors du procès du cardinal Barbarin, écoutent. Bernard Preynat a 75 ans aujourd’hui, un pantalon trop court et une veste trop grande. Il a reconnu tous les faits, à quelques détails près, mais il est vrai qu’après trente ans et autant de victimes – dix sont parties civiles mais au moins quatre-vingts victimes –, la mémoire peut parfois flancher. Bernard Preynat est ordonné prêtre en 1971, à 26 ans, et ne sera renvoyé de l’état clérical qu’en 2019, à la suite du dépôt de plainte de l’une des victimes datant de 2015. En réalité, l’ancien vicaire opérait au moins depuis 1972 sans que quiconque ait jamais porté plainte.

Tout s’arrête en 1991 lorsque les rumeurs deviennent trop écrasantes. « L’heure des réseaux sociaux vous a rattrapé », a résumé hier la présidente du tribunal correctionnel de Lyon. L’estimation du nombre de petits garçons que le prêtre Preynat aurait touchés, caressés et embrassés donne le vertige. Entre 1970 et 1990, il pouvait attirer un enfant « presque tous les week-ends » et, dans un samedi, il pouvait y avoir un à deux garçons agressés. Les choisissait-il parce qu’ils étaient « beaux » et « timides » ? Non, pas spécialement, rétorque le vieil homme. Parce que c’était plus facile ? « Un enfant est sans défense, ses parents me le confiaient, ils me faisaient confiance, c’est vrai ».

Le mode opératoire n’a guère varié en trente ans. Bernard Preynat, « charismatique » et « adulé » ecclésiastique de la paroisse lyonnaise de Sainte-Foy-lès-Lyon, attirait les jeunes scouts dont il avait la charge dans son bureau, situé en l’église, sous une tente ou dans le car lorsqu’ils étaient de sortie. Des « endroits isolés ». La même scène, effrayante, se répète. Le curé n’agit jamais avec violence, il n’a pas besoin de cela, les enfants le respectent. Il leur caresse les cuisses, les fesses, le visage, embrasse les yeux, les joues, la bouche – il conteste cela, les baisers sur les lèvres n’étant pas « habituels » chez lui, il préfère « faire des “câlins” sur les paupières ». À certains, il caresse le sexe et se fait caresser. À l’un, il prend la précaution de lui retirer son béret et ses lunettes « pour lui faire des bisous ». Il les prend tous fortement dans ses bras, et certains ont le souvenir de s’être presque « étouffés » contre son ventre. « Je me souviens des fibres de sa chemise », de « son ventre », « de son odeur de transpiration », de « ses râles ». Ils ont 8 ans, 9 ans, 10 ans, guère plus. Et puis, toujours doucement, il les assure de son affection et leur fait promettre de garder « le secret ». Des rencontres forcées, selon les parties civiles, il a pu y en avoir deux, dix, jusqu’à cinquante, selon l’une des parties civiles. L’un a raconté à ses parents qui l’ont cru et ont dénoncé les faits au diocèse. Les autres n’ont pas eu cette chance.

« Il était très admiré par une communauté importante, avec des personnalités lyonnaises importantes aussi. Un enfant cherche à ce que l’on s’intéresse à lui. Effectivement, je voyais cet homme reconnu, adulé, qui affichait cette puissance, je regardais cette communauté, et moi, j’étais le protégé de cet homme, je pensais être à la bonne place. Je pensais être le seul », raconte l’une des parties civiles. Concernant Antoine, par exemple, Bernard Preynat confirme qu’il l’a « beaucoup caressé » mais « je ne lui ai jamais mis la main dans le slip. Je lui faisais des câlins et des bisous ». Comment en est-il aussi sûr ? « Parce que je m’en souviens bien, de lui. Sa maman était venue me voir, je lui ai dit qu’il ne s’était rien passé de grave, et je n’ai pas menti ». D’ailleurs, il était à l’écoute des enfants – certains, devenus adultes, lui ont demandé de les marier –, il n’avait pas l’impression qu’ils étaient « tétanisés » ou « sous emprise », comme veut le faire dire le tribunal, et il se serait arrêté s’il avait senti la moindre « résistance ». Et « à la moindre réticence ? », interroge le tribunal. « Je me serai immédiatement arrêté. »

L’antienne du religieux va vite agacer le parquet et les avocats des parties civiles. « À l’époque, je ne me rendais pas compte de la gravité des faits, je savais que c’était des actes condamnables mais je ne pensais pas aux conséquences de mes actes. C’est après 1991, surtout avec la réaction des parents, très touchés, que j’ai réalisé. Il m’a fallu quand même un certain temps pour saisir toutes les répercussions que cela avait pu avoir sur les familles et les enfants. […] J’ai agi sans violence, il s’agissait de gestes de tendresse dans lesquels je trouvais du plaisir. »

L’avocat de partie civile Jean Boudot l’interroge.

— On a l’impression que tout est reconnu et assumé. Vous reconnaissez avoir commis des faits d’agressions sexuelles sur mon client, par exemple ?

— À l’époque, j’aurais dit non, c’étaient des câlins et des caresses. Mais ce sont effectivement des agressions sexuelles. À l’époque, non, du fait que je n’ai pas touché le sexe et qu’il n’a pas touché le mien.

— Quelles différences faites-vous entre hier et aujourd’hui ? Qu’est-ce qui vous a fait comprendre cela ?

— C’est l’accusation qui m’est faite de la part des victimes, des enfants de 10 ans sans défense.

— Il faut que ça soit les victimes qui vous le disent, vous en avez pas conscience vous-même ? On ne touche pas un enfant, continue la présidente du tribunal.

— Je savais bien que ces gestes étaient interdits. Des caresses interdites que je n’aurais pas dû faire, que je n’ai pas faites en public.

— C’est pas parce que c’est fait en cachette que c’est interdit, M. Preynat. C’est parce que c’est interdit que c’est fait en cachette, cingle l’avocat. Vous avez ressenti quoi, une émotion érotisée ?

— Oui, ça m’apportait du plaisir.

— Un plaisir sexuel, M. Preynat, on va dire les mots maintenant !

— Un plaisir sexuel forcément… je lui caressais les cuisses, pas le front…

— C’était donc bien une démarche à caractère sexuel ?

— Maintenant, je le reconnais.

— C’est pas de maintenant que l’on parle, M. Preynat, c’est d’à l’époque ! C’est encore dur à admettre ?

— Je l’admets tout à fait, il y a une différence entre ce que je ressentais à l’époque des faits et maintenant. […] Je regrette énormément ces agressions, à l’époque c’était de la tendresse, pour moi. Une tendresse mal vécue, mal placée, déviée, je demande pardon.

Hier, toutes les parties civiles entendues ont dit leur mal-être, leur adolescence parfois fracassée, leurs difficultés à s’engager dans une relation, leurs troubles du sommeil et leurs cauchemars, pour certains leurs tentatives de suicide, leur parcours du combattant pour voir admettre les faits qui les ont à vie « déviés de leur existence d’enfant ». Ils ont occulté pendant de nombreuses années, parfois par peur de faire du mal « à un être exceptionnel », parfois parce qu’ils n’ont pas mesuré la gravité des faits. « Je suis assommé, je mesure la responsabilité énorme de mes actes », déclare le curé à la barre, sans émotion. « Ça peut paraître comme des mots mais je suis bouleversé par ce qui a été dit. C’est pas des mots, c’est quelque chose que je ressens profondément ». Il dit qu’il mène un « long combat » depuis 1991, depuis la promesse faite au cardinal Decourtray, pour « ne jamais recommencer ». Aucune plainte n’a été déposée depuis cette date. Il reste néanmoins à comprendre pourquoi la hiérarchie ecclésiastique l’a laissé au contact d’enfants avant et après 1991.

Le procès se poursuit jusqu’à vendredi.

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Le procès du père Preynat: « Ce qui vous a arrêté, c’est la honte publique ! »

le 15 janvier 2020

Bernard Preynat aime les petits garçons depuis son adolescence. Bernard Preynat est pédophile. Mardi, il avait estimé le nombre de ses victimes potentielles entre 1970 et 1991 : environ deux enfants par semaine, parfois moins, parfois plus lorsqu’il partait en voyage avec les scouts de la paroisse lyonnaise qu’il dirigeait. En 1971, lorsqu’il est ordonné prêtre, il y a déjà eu des alertes. Au petit séminaire, il lui avait été demandé de se soigner. Une psychothérapie d’un an qu’il a très mal vécue car Bernard Preynat devait évoquer des choses trop personnelles. « Et puis, en sortant, j’étais tout content, je croyais que j’étais guéri. » Il a recommencé. À Sainte-Foy-lès-Lyon, près de Lyon, le jeune vicaire fonde le groupe de scouts de Saint-Luc en 1972, il sera également aumônier au lycée La Favorite.

Il restera en place jusqu’en 1991, année de la détonation, année de la mutation brutale ailleurs pour l’éloigner du scandale qui pointe. « C’était un dimanche, en octobre 1990, juste avant la messe, un père vient me voir et me dit qu’il retire ses enfants des scouts à cause des rumeurs. […] La messe s’est déroulée et, l’après-midi, j’étais à la cure, j’étais très mal à l’aise. Le lundi, j’ai informé le père Jean Plaquet ». Ce dernier avait été alerté à de multiples reprises, « il était au courant dès les années 1970 et 1980 », affirme Bernard Preynat, hier à la barre. En 1978, le père Plaquet lui demande de ne pas recommencer. En 1982, le père Plaquet, informé par des familles, tance vaguement Bernard Preynat. En 1985 et 1986, rebelote. Et ainsi de suite. Des coups d’épée dans l’eau. Il faudra « la honte publique », comme l’a souligné une avocate, pour que le prêtre arrête ses agissements.

Vient le courrier. Nous sommes en février 1991. Une lettre précise, sans haine, de parents dont le fils a été agressé par le curé, lue hier par la présidente du tribunal, qui dénonce « la conspiration du silence ». « Tout est dit, non ? », interroge la magistrate. « Oui… Quand j’ai rencontré monseigneur Jacques Faivre, je devais quitter mon poste normalement à la fin de l’année 1991. Mais, avec la démarche des parents, la donne a changé. J’ai été voir le cardinal Decourtray et il m’a lu la lettre. Il m’a dit “Dieu seul pardonne”. Je voulais lui expliquer que les faits ne concernaient pas uniquement ces dernières années mais que cela durait depuis longtemps. Il a fait un grand geste du bras qui voulait dire qu’il ne voulait pas en savoir davantage. Il m’a dit de quitter Saint-Luc et m’a nommé aumônier chez les petites sœurs de la Part Dieu ». Bernard Preynat a une semaine pour quitter les lieux, il est abattu. La rumeur a fait son travail, « beaucoup de parents ont enlevé leurs enfants du groupe de scouts, ils ont appelé, ils ont dit leur déception, leur révolte, leur douleur ». D’autres parents ont soutenu mordicus l’ecclésiatique, celui « adulé » par sa communauté. À ceux-là, il écrit un courrier, pour les avertir de ce départ précipité. Il évoque un mal-être, une fatigue, « des nerfs mis à rude épreuve ». Il lui faut partir, « il est sage de reconnaître ses propres limites ».

— Les parents qui n’étaient pas au courant des faits d’agressions, ils se disent quoi, à votre avis ? Que c’est un coup de fatigue ?

Bernard Preynat maugrée à la question du tribunal.

— Vous pensez que j’allais écrire les vraies raisons de mon départ ? Je n’en ai pas eu le courage. J’étais très déprimé.

— Ç’aurait peut-être été courageux, insiste la présidente.

— Oui, convient l’ancien curé. D’ailleurs, de nombreux parents sont venus le voir avant son départ. Je ne me suis dénoncé auprès d’aucun d’entre eux.

— Ils avaient dû entendre des rumeurs ?

— Beaucoup n’ont pas dû croire, et je ne me suis pas dénoncé.

Lorsqu’il est nommé curé dans diverses paroisses, le père Plaquet – avec une communauté de sœurs – est chargé de le surveiller, « même s’il n’avait pas vraiment été efficace », reconnaît ironiquement le prévenu. Quelques mois passent, Bernard Preynat reçoit par écrit un rappel à l’ordre. « Je suis allé voir le cardinal Decourtray pour qu’il me donne les limites de ce que je pouvais faire ou pas avec les enfants : faire du catéchisme, avoir des enfants de chœur… Le cardinal était d’accord ». Le père Preynat s’engage à ne jamais plus toucher un enfant (l’enquête n’a pas trouvé de victimes après 1991).

— Si l’Église était intervenue plus tôt, vous auriez arrêté plus tôt ? L’Église a une responsabilité, selon vous ?

— Je ne vais pas accuser l’Église.

— Estimez-vous avoir dit explicitement et suffisamment les choses à votre hiérarchie, qui aurait étouffé les faits pour empêcher le scandale ?

— Je n’ai jamais été interrogé par ma hiérarchie sur le détail des faits de ma vie (le père Preynat a précisé plus tôt dans la journée qu’il s’était en revanche confessé à de nombreuses reprises et aucun de ses confesseurs ne lui avait conseillé de se dénoncer, ndlr).

— Jamais ? Donc, la première fois que vous en parlez dans les détails, c’est devant un policier ?

— Oui.

— Et rien au cardinal Decourtray ?

— Quand j’ai voulu lui expliquer, je lui ai dit « c’est une longue histoire », il a balayé ça d’un revers de main et le cardinal Barbarin, quand il a pris son poste à la tête du diocèse de Lyon, ne m’a posé aucune question précise. J’ai reconnu avoir agressé mais il n’y a pas eu de questions.

— Ils ont bien compris qu’il s’agissait de faits sexuels ?

— Oui.

— Quand le cardinal Barbarin écrit au Vatican, en février 2015, pour savoir ce qu’il doit faire de vous, ce dernier ne veut pas d’un scandale.

— Si on avait voulu faire un scandale et un procès canonique, c’est en 1991 qu’il aurait fallu le faire et pas en 2018 (Bernard Preynat a été renvoyé à l’état laïc en juillet 2019, ndlr).

— Mais au cardinal Decourtray, qui n’a pas voulu vous écouter, pourquoi ne pas lui avoir écrit ?

— J’ai écrit un courrier très récent à l’évêque qui remplace Barbarin pour lui expliquer tout ce qui s’était passé depuis mon enfance, depuis les agressions que j’ai subies quand j’étais enfant de chœur, le peu d’aide dont j’ai bénéficié lors du petit séminaire…

— Vous n’avez pas pensé le faire auprès de M. Decourtray ?

— Non, j’avais honte, je n’ai pas eu le courage.

— Cette culture du silence, vous dites vous-même que vous l’avez éprouvée ?

— Oui, je reconnais qu’à cette époque, c’était recommandé par l’Église, c’était « n’en parlons pas, n’en parlez pas »

— Vous pensiez que vous échapperiez à la justice ?

— J’espérais, mais je pensais que ça arriverait un jour.

[…]

— Vous n’avez pas parlé de monseigneur Billé (qui a été chargé dès 2001 de mettre en place des dispositifs de lutte contre la pédophilie, ndlr), demande une avocate de la partie civile.

— Il m’a convoqué, reçu dix minutes, il voulait surtout savoir si les faits étaient prescrits et m’a envoyé chez un avocat. J’ai tout raconté en détail, un certain nombre de faits n’étaient pas prescrits. L’avocat a écrit à monseigneur Billé pour lui dire.

— Un avocat a écrit que certains faits n’étaient pas prescrits ?

— C’est l’avocat qui me l’a dit, oui.

— Après l’envoi de cette lettre à M. Billé, quelle a été la réponse de la hiérarchie ?

— Monseigneur Billé est mort quelques mois après…

Le procès devrait se terminer vendredi.

Source:  https://www.dalloz-actualite.fr/flash/proces-du-pere-preynat-ce-qui-vous-arrete-c-est-honte-publique#.XiHDHMhKghT

Le procès du père Preynat, gouffre de la douleur

le 17 janvier 2020

Bernard Preynat, né en 1945 à Saint-Étienne, est l’aîné d’une fratrie de sept enfants, éduqués à la dure par un père froid et distant. L’ambiance à la maison est austère et religieuse. Il souffre d’un eczéma sévère qui l’empêche de vivre normalement. La vocation, il l’a eue très jeune, ses frères et sœurs se souviennent que, petit déjà, il « jouait à la messe ». Il aimait aussi « organiser des activités », son côté fédérateur pointant déjà le bout de son nez. Cela dit, frères et sœurs s’accordent pour dire que Bernard Preynat était « autoritaire », « cassant », « orgueilleux », « qu’il avait une haute opinion de lui-même ». Il n’en restait pas moins « charismatique » et « brillant ». Une description qui colle à celle que les victimes ont faite de lui depuis le début du procès.

À 11 ans, il entre au petit séminaire et, à 14 ans, il devient pensionnaire. Il ne revenait chez lui qu’une fois tous les quinze jours et « quelques jours pendant les vacances ». « Quand vous parlez de cette vocation, vous avez pourtant déjà été agressé à plusieurs reprises », tente de comprendre la présidente du tribunal correctionnel de Lyon, Anne-Sophie Martinet. L’ancien prêtre – il ne l’est plus depuis 2019 – raconte. « Il y a d’abord eu le sacristain, quand j’avais à peu près 10 ans, c’était à la sacristie de Saint-Étienne où les enfants de chœur se préparaient. Un jour, il a appuyé la main sur le sexe et a dit “Qu’est-ce qu’il y a là ?” […] Après, lors d’une colonie de vacances en Haute-Loire, un moniteur séminariste entrait dans les douches, ouvrait le rideau et me caressait les cuisses. […] Au petit séminaire à Saint-Étienne, l’un de nos professeurs passait dans les rangs pendant l’étude, mettait sa main dans la chemise pour nous caresser le dos. Il m’a fait venir dans son bureau, il me baissait le pantalon et le slip et il avait la manie de me nettoyer le sexe avec un gant de toilette. Ça s’est reproduit très souvent. […] Une autre fois, à la cure de Saint-Louis, le même prêtre exerçait pendant les grandes vacances, il nous invitait à travailler les versions latines des textes et les choses recommençaient. […] Il n’avait d’ailleurs par très bonne réputation, on l’appelait “le monkey” ». Le « professeur » déjeunait parfois chez les parents du jeune Bernard Preynat et l’invitait à le raccompagner. Il « recommençait » dans un bosquet, avec « un mouchoir » cette fois-ci. Bernard Preynat n’a jamais osé dénoncer les faits, il avait « honte ». En classe de première, un autre professeur se montrait « très affectueux » avec lui, le « serrant » contre lui. « Il m’a agressé » et « il m’a demandé pardon ».Tout cela ne le détourne pas de sa vocation.

Il va commettre les premières agressions comme jeune moniteur dans des colonies de vacances – il a 16 ans. Elles ne s’arrêteront plus, jusqu’au coup d’arrêt de 1991, en plus d’une brève interruption lorsqu’il est étudiant à Lyon – une « vie finalement assez équilibrée ». « Donc, à partir de 16 ans, ça ne s’arrête plus ? », résume le tribunal. « Ça m’a toujours poursuivi. […] Ça ne s’est jamais arrêté ». Dès le premier cycle de séminariste, des parents dénoncent à la hiérarchie les faits. Bernard Preynat est convoqué, envoyé à Paris chez un prêtre-psychologue qui le teste une journée et lui demande de consulter un docteur lorsqu’il retournera à Lyon. Ce qu’il fait pendant un an. Nous sommes en 1967. « Je le voyais tous les lundis soir. […] Cette analyse était parfois pénible, raconte Bernard Preynat. Au début, j’ai presque rien dit, j’étais couché sur un divan, lui derrière moi. C’est venu petit à petit. […] Au bout d’un an, il a dit que j’étais guéri, il a écrit au supérieur du séminaire que je pouvais continuer la marche vers l’ordination ». Il récidive dès 1969.

C’est la « consommation effrénée de corps d’enfants » qui va débuter, une « addiction » qui a besoin de plus en plus d’assouvir ses pulsions, comme l’explique à la barre la professeure Liliane Deligand, diligentée par la défense. « Il s’est arrêté en 1991, cela peut paraître surprenant après tant de passages à l’acte, comme si, tout d’un coup, le sevrage était le résultat de la parole de l’évêque (en 1991, le cardinal Decourtray, alerté par une famille qui menace de médiatiser l’affaire, exfiltre le père Preynat et lui fait promettre de ne jamais recommencer, ndlr), une parole interdictrice, qui lui intimait de ne pas se confondre avec le corps de l’autre. […] Cette intimation a été suffisante pour mettre un coup d’arrêt à ses gestes. Cela ne veut pas dire qu’il n’a pas eu de tentations ou des fantasmes. Il est néanmoins capable de résister à la tentation. La parole a été plus forte. ». Il reste à comprendre pourquoi, jusqu’en 1991, la parole des autres prêtres, qui lui avaient intimé d’arrêter, n’a pas été « plus forte ». La veille, une avocate de la partie civile, Nadia Debbache, avait cinglé : « c’est la honte publique » qui a porté le coup d’arrêt. Par ailleurs, « vous confessiez régulièrement votre pêché de chair et vous étiez conforté dans le fait que vous étiez pardonné, absous, non ? », demande Anne-Sophie Martinet. Le prévenu acquiesce.

Vendredi, réquisitoire et plaidoirie de la défense.

« Merci de cette mise à nue, vous avez gagné le combat »

François D… est l’une des dix victimes, parties civiles au procès, il a créé l’association La parole libérée, l’un des rares à avoir été cru et soutenu par sa famille. C’est « le combat acharné » et « sans concession » d’un père et d’une mère – le courrier de 1991, c’est eux – qui va mener à un résultat, le transfert de Bernard Preynat et l’arrêt des agressions. Il a été peu question des familles pendant ce procès, de celles qui n’ont pas cru leurs enfants, qui n’ont pas voulu entendre, qui ont soutenu le curé jusqu’au bout, quitte à perdre leur fils. François D… a eu davantage de chance. « Votre mère, si courageuse, n’a rien lâché. Ce sentiment de révolte, le sien, vous l’avez chevillé au corps, a dit Me Nadia Debbache à son client lors de sa plaidoirie. Vos parents n’ont pas eu peur d’avoir mauvaise réputation. […] Tout le monde s’est refilé la patate chaude. […] Ce combat, il vous a été utile. […] Vous avez pourtant longtemps dénié votre souffrance au profit de celle des autres victimes. […] Ce qui va faire exploser votre carapace en mille morceaux, ce sont les attestations de votre frère et de votre sœur. » L’avocate les lit, des témoignages bouleversants de familles fracassées. « La réalité, M. Preynat, c’est que toute une famille va supporter le poids de vos actes. Merci François d’avoir accepté cette mise à nu, vous avez gagné le combat. »

Source:  https://www.dalloz-actualite.fr/flash/proces-du-pere-preynat-gouffre-de-douleur#.XiHExchKghT

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