Mais qui ose se préoccuper des enfants victimes ?

Mais qui ose se préoccuper des enfants victimes ?

Le 5 juin dernier, Daniel Legrand fils a été acquitté par la Cour d’Assises de Rennes des infractions de viols et agressions sexuelles en réunion sur mineurs qui lui étaient reprochées.

Tout le monde a entendu parler du « dossier d’Outreau ». Il est cité partout comme un « fiasco » ou une « erreur  judiciaire », un symbole que la parole de l’enfant était crue sans discernement, que la justice pouvait broyer des innocents, que le juge d’instruction était trop seul, trop rigide, trop influençable ou trop jeune, ou tout cela à la fois.

Rappelons que la Cour d’Assises de Saint-Omer avait commencé par condamner dix des dix-sept accusés (dont Daniel Legrand fils), avant que la Cour d’Assises de Paris n’acquitte la totalité de ceux qui avaient interjeté appel (soit six personnes), non sans avoir délibéré pendant plus de 7 heures. Cette durée de délibéré a d’ailleurs beaucoup contrarié le Ministre de la Justice de l’époque, qui tenait à être le premier à s’excuser lors du journal de treize heures…

Dix ans après cette déflagration, on apprend que Daniel Legrand fils est poursuivi devant la Cour d’Assises de Rennes pour ce qui est immédiatement désigné par la presse comme le dossier « Outreau 3 ».

Une levée de boucliers est alors relayée par les médias : pourquoi un tel « acharnement » ? pourquoi diable n’a-t-on pas laissé ce dossier mourir « de sa belle mort » ? Des députés parlent de « procès pour rien », d’un accusé acquitté deux fois puis rejugé etc…

En réalité, la majeure partie des agressions reprochées à Daniel Legrand fils ayant été commises pendant qu’il était mineur, la Chambre de l’Instruction avait décidé, en 2003, de scinder ce dossier en deux et de n’audiencer cette partie du dossier devant une Cour d’Assises des mineurs, seule compétente en l’espèce, que plus tard.

En guise de quoi, devant la violence des attaques relayées par le monde politico-médiatique envers le Justice à l’occasion de ce dossier d’Outreau, le Parquet Général de Douai prit son courage à deux mains et décida…de faire le mort.

Pourtant, une décision de la Chambre de l’Instruction avait bien ordonné le renvoi de Daniel Legrand fils devant une Cour d’Assises des mineurs, à la demande du Parquet. Mais on apprit qu’un accord secret aurait été obtenu par les avocats de la défense pour que ce même Parquet n’audience pas cette partie du dossier et qu’on laisse la prescription intervenir en toute discrétion.

Outre le caractère totalement illégal de ce type d’accord, on n’avait encore jamais vu un Parquet fouler aux pieds joyeusement le Code de Procédure Pénale et refuser d’audiencer une affaire pour satisfaire la Défense et les médias, mais il faut croire que dans ce dossier, le pire n’est jamais certain.

Malgré cette brillante démonstration de la stratégie de « Courage, fuyons ! » adoptée par le Parquet Général, un syndicat de magistrat (FO Magistrats) et une association de protection de l’enfance (Innocence en danger) ont alerté celui-ci sur la prescription qui approchait et sur l’inévitable condamnation du service public de la Justice qui s’en suivrait, et partant, des magistrats actuellement en poste à Douai.

Apprenant cet audiencement, qui n’était qu’une simple application de la décision rendue en 2003, et donc de notre Etat de Droit, les avocats de la Défense se sont immédiatement insurgés contre ce « scandale », cet « acharnement judiciaire », dénonçant ce traitement inhumain infligé à Daniel Legrand.

Les médias ont alors relayé gaiement les énormités des avocats de la défense, comme dix ans auparavant, parce qu’au dessus de l’Etat de Droit, ils semblent placer le principe selon lequel on ne touche pas aux innocents d’Outreau.

Et la presse d’indiquer que ce procès se tenait à la demande d’une association de protection de l’enfance, alors qu’aucune d’entre elles n’a un tel pouvoir, ou que Daniel Legrand serait rejugé « pour les mêmes faits », ce qui est évidemment inexact, puisqu’il s’agissait d’autres agressions, éventuellement commises à une autre période, dans un autre contexte.

Faut-il vraiment rappeler que, même lorsque l’on est un innocent d’Outreau, ce n’est pas parce qu’on n’aurait pas violé ou agressé en 1999, qu’on ne peut l’avoir fait en 1996 ?

En tout état de cause, quiconque défendrait cette nouvelle procédure serait immédiatement accusé de « révisionnisme », plusieurs avocats de la défense, Me Dupont-Moretti en tête, feignant de ne pas distinguer les procédures et étant tout-à-coup très attachés à la « vérité judiciaire » – en tout cas celle qui les arrange – alors qu’ ils n’ont eu de cesse lors de procès antérieurs de dénoncer les erreurs de la Justice et de critiquer allègrement certaines décisions (dont l’arrêt de la Cour d’Assises de saint-Omer, qui rappelons-le, avait condamné Daniel Legrand fils à 6 ans d’emprisonnement, et ce malgré les volte-faces de Myriam Badaoui).

Pourtant, si cette vérité judiciaire que constitue l’acquittement des « innocents d’Outreau » ne peut plus être discutée en Justice (quoiqu’un recours contre l’arrêt de la Cour d’Assises de Paris est actuellement examiné par la Cour Européenne des Droits de l’Homme et que la France n’est pas du tout à l’abri d’une condamnation…), on peut quand même relever que, parmi ces acquittés :

-Le couple Lavier a depuis été reconnu coupable de violences habituelles sur deux de leurs enfants par jugement du Tribunal Correctionnel de Boulogne sur mer du 23 février 2012,

Ce charmant couple d’innocents avait en effet la fâcheuse habitude d’« éduquer » leurs enfants de 10 et 11 ans à coups de latte de sommier sur les doigts, ou en les obligeant à rester des heures à genou sur un balai posé par terre, ce qu’ils n’ont pas contesté lors de l’audience.

– que le couple Lavier a reconnu avoir aussi organisé (et filmé) plusieurs fêtes lors desquelles, nus et alcoolisés, ils mimaient des actes sexuels devant leurs enfants,

– qu’un autre de leurs enfants se refuse obstinément à avoir le moindre contact avec eux, malgré la décision d’acquittement obtenue,

– que certains de ces innocents d’Outreau ont de nouveau été mis en cause par les enfants Delay lors de ce procès à Rennes, alors que ceux-ci n’avaient pourtant rien « à y gagner » puisque seul Daniel Legrand fils était jugé,

– que plusieurs des enfants victimes refusent encore aujourd’hui de voir leurs parents, aucune « vérité judiciaire » n’ayant le pouvoir de leur faire oublier ce qu’ils ont subi,

– que Daniel Legrand fils lui-même, avait avoué à trois reprises (et notamment lors d’une expertise, où il n’y a ni pression policière, ni juge d’instruction « machiavélique »…) avoir commis des viols et agressions sexuelles sur plusieurs enfants, en donnant divers détails, et avait formulé des excuses…

Une autre vérité judiciaire, totalement ignorée par les médias celle-là, est que douze enfants ont bel et bien été reconnus victimes de viols en réunion, dans des circonstances totalement sordides, qu’ils ont effectivement dit la vérité et que, pourtant, leur sort est resté ignoré, voire sans intérêt pour beaucoup.

Disons-le de façon claire : oui ce procès devait avoir lieu, oui ce n’est qu’une application de notre Etat de Droit, et non les associations de protection de l’enfance ne sont pas des organisations « troubles », aveugles ou « fanatisées », capables de faire qu’une audience ait lieu alors que c’est bien entendu une juridiction qui l’a décidé. Ces associations regroupent des citoyens, le plus souvent bénévoles, qui se battent pour que les enfants aient la protection qu’ils méritent, ce qui n’est pas une mince affaire quand on voit la façon dont est traitée leur parole.

La réaction des médias à ce sujet est consternante. La perspective que ce dossier ne soit jamais jugé, parce que le Parquet aurait volontairement laissé courir le délai de prescription, n’a semblé gêner personne, alors même que le Parquet a pour fonction de protéger les intérêts de la société.

L’évocation de ce possible accord secret entre le Parquet et les avocats de la Défense a donné lieu à un silence assourdissant. Ainsi donc, on pourrait en droit français, aujourd’hui, se mettre d’accord dans le dos des victimes pour qu’une affaire ne soit pas jugée, au mépris de toutes nos règles de droit ?

On en est là de la protection des victimes, et des enfants en particulier ? C’est là toute la place qu’on leur donne ?

On prétend faire le nécessaire pour sortir de la loi du silence, et on renvoie les enfants Delay, parties civiles, à un rôle de spectateurs impuissants, où la Justice se règle sans eux, sans même qu’ils aient leur mot à dire ?

Apparemment, cette solution non seulement n’a pas choqué les médias français, mais avait même leur faveur, plusieurs journalistes ayant ouvertement tenté de démontrer, sans aucune gêne, qu’il aurait été largement préférable que ce procès n’ait pas lieu.

Décidemment, la protection de l’enfance a encore du pain sur la planche…

A l’issue de ce procès de Rennes, Jonathan Delay, une des victimes, a déclaré : « ça ma permis de déposer un poids, un poids que je traîne depuis maintenant presque 10 ans, voire 15 ans, et jai déposé ce poids à la barre, et je suis reparti sans, je suis reparti libre, et ça c’était très important. »

La tenue de ce procès aura au moins eu ce mérite : rappeler que le rôle de la Justice est aussi de permettre aux victimes de s’exprimer dignement, d’écouter leur souffrance et pas de les maltraiter à nouveau comme ce fut le cas lors des procès de Saint-Omer et de Paris.

Car, faut-il le rappeler, on n’a rien trouvé de mieux à Saint-Omer, que d’installer les enfants victimes dans le box des accusés pour les auditionner, quand les accusés eux-mêmes s’installaient dans la salle, à la place des « spectateurs », ce qui est une énormité de plus dont on se demande encore comment des professionnels ont pu l’accepter !

Et à Paris ? pas mieux ! On y a notamment entendu un Avocat Général demander à une de ces jeunes victimes s’il n’avait pas aussi été « violé par un martien », ce qui montre là encore dans quelles conditions d’irrespect et de défiance ces enfants ont été reçus par la Justice…

Que le Parquet ait été incapable d’entendre les enfants Delay, en préférant croire qu’il s’agissait de « souvenirs reconstruits » (pour 3 enfants en même temps ?) comme il l’a été expliqué à Rennes n’est que le reflet de l’incapacité de la société entière à traiter correctement cette problématique des abus sexuels sur mineurs, alors que même s’il s’agit d’une violence impensable – ou plutôt parce qu’il s’agit de cela – une attention particulière devrait se porter sur ces affaires.

Ce désastre d’Outreau, et de son traitement médiatique, doivent amener les associations de Protection de l’Enfance à redoubler d’efforts, et l’association Coup de Pouce – Protection de l’Enfance compte bien s’y atteler.

Pascal CUSSIGH
Président de l’association Coup de Pouce – Protection de l’Enfance
Avocat au Barreau de Paris

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