Se rendre au contenu

Hommage au courage de Gisèle Pelicot face à la justice

Le 02 septembre 2024 a commencé le procès des viols de Mazan où un homme, Dominique Pelicot, a volontairement livré sa femme droguée, Gisèle Pelicot, à des hommes pour qu’ils la violent. Quatre-vingt douze viols découleront de cette pratique sordide.

Le procès de Mazan, qui implique cinquante et un hommes, s'inscrit dans une triste lignée de grandes affaires judiciaires liées aux violences sexuelles. Ce procès, par son ampleur et la médiatisation qu'il suscite, met en lumière des problématiques récurrentes dans le traitement des victimes de viols, qu’elles soient mineures ou majeures. En effet, Gisèle Pelicot, la victime dans cette affaire, se retrouve confrontée à des dynamiques similaires à celles observées lors du procès Outreau, où la parole des victimes a été mise en doute et où la responsabilité des accusés a souvent été minimisée.

Les stratégies de défense employées par certains avocats semblent parfois chercher à dévaloriser l'expérience de Gisèle Pelicot, remettant en question sa crédibilité et sa souffrance. Ce phénomène soulève des interrogations sur la manière dont la justice traite les victimes de violences sexuelles.

La présomption d’innocence des accusés au mépris de la confiance envers la victime

Un premier problème réside dans l’importance donnée respectivement à la « présomption d'innocence » et la « protection de la victime ». Protéger une victime de ses agresseurs et lui donner le droit de raconter son histoire avec ses propres mots et de partager ses souffrances, ne signifie pas que l'on reconnaît automatiquement la culpabilité de l'accusé. Il est tout à fait possible de prendre soin des victimes et de reconnaître leurs souffrances sans pour autant remettre en question la présomption d'innocence. Or, on en est très loin dans le procès de Mazan où les avocats (de la défense) ne cessent de réclamer davantage de protection… pour les accusés. C’est ainsi qu’Olivier Lantelme, avocat de la défense, dénonce une protection de la victime (pourtant très réduite) qu’il considère comme une aberration : « En une décennie, le procès pénal a évolué : on a l'impression désormais qu'il faut absolument protéger les victimes, y compris au prix du déraisonnable. »(Le déraisonnable ici n’est pas précisé.)

Il est particulièrement inquiétant ici de relever qu’un Président de Cour d’Assises soit capable de demander à la partie civile, au nom de la présomption d’innocence, de parler de « partenaires » et non « d’agresseurs », ou de « scènes de sexe » au lieu de « scènes de viol ». Non seulement cette exigence contrevient à la Convention d’Istanbul, que la France a ratifiée, et qui incrimine les nouvelles violences infligées aux victimes par l’autorité judiciaire, mais elle démontre le dévoiement total du principe de la présomption d’innocence, qui tout en étant essentiel, n’a jamais voulu signifier que la société devait nier le réel tant que la Justice n’était pas passée. Serait-il venu à l’idée des magistrats ayant jugé le procès des attentats de 2015 de parler de « prétendues victimes » à l’audience ou de nier la dénomination « d’attentat » ?

Des avocats de la défense qui accusent la victime

Les avocats de la défense peuvent ainsi parfois adopter une attitude particulièrement vindicative dans le but de défendre au mieux leurs clients. Bien qu’ils doivent tout mettre en œuvre afin d’assurer la défense de leurs clients, il existe néanmoins une limite déontologique à ne pas franchir : celle d'intimider ou de blesser délibérément la victime qui cherche à dénoncer les violences qu'elle a subies.

Ce phénomène est à nouveau observable dans le procès de Mazan, tant dans le comportement des avocats de la défense envers Gisèle Pelicot que dans leurs interventions médiatiques. Par exemple, l'avocat de la défense, Guillaume de Palma, n'a pas hésité à affirmer qu'il y avait « viol et viol » (sans définir cette distinction, inconnue dans le Code Pénal) dans le but de minimiser la responsabilité de ses clients. En s'exprimant de la sorte, il minimise également la souffrance et les agressions vécues par Gisèle Pelicot, condamnant cette dernière à voir sa parole et sa douleur niées. Une attaque inutile pour une personne ayant déjà traversé de telles épreuves.

Deux autres avocats, Isabelle Crépin-Dehaene et Philippe Kaboré, ont également demandé à ce que soient visionnées des photos intimes de Gisèle Pelicot. Sur ces clichés, la septuagénaire apparaît nue, dans des mises en scène très suggestives. Ils ont demandé : « Vous n'auriez pas des penchants exhibitionnistes que vous n'assumeriez pas ?". Suite à l’offuscation de Gisèle Pelicot face à cette accusation, Isabelle Crépin-Dehaene a répondu : “Vous êtes en colère, mais vous êtes aussi responsable de cette diffusion ! » faisant référence au fait que la septuagénaire se soit opposée au huis clos, inversant les rôles entre victimes et coupables.

La question de la responsabilité de la victime en cas de viol est un poncif dans la défense de violeurs (le fameux « Comment était-elle habillée ? ») : les avocats cherchent à culpabiliser la personne qui a subi l'agression et à lui faire porter la faute. Dans le cas de Gisèle Pelicot, les avocats exploitent des éléments de sa vie personnelle pour justifier les actes de leurs clients, ce qui est non seulement injuste, mais également révélateur d'une culture qui continue de blâmer les victimes.

Dans le contexte médiatique actuel, ces interventions de la défense soulèvent des questions quant à la dignité et au respect qui devraient prévaloir lors de procès aussi sensibles. A l’extérieur du tribunal, la tactique de décrédibilisation de la victime est la même : l'avocate Isabelle Crépin-Dehaene a ainsi suscité une vive controverse en se moquant sur LinkedIn de la cagnotte de soutien mise en place par l'ex-star de téléréalité Nabilla pour Gisèle Pelicot, en faisant un commentaire sexiste : « Elle aurait pu vendre ses seins en plastique ». Dans un registre similaire, l'avocate Nadia El Bouroumi a provoqué un tollé en se filmant sur les réseaux sociaux pour partager des moments d'audience tout en chantant «Wake Me Up Before You Go-Go », un choix particulièrement douteux dans une affaire de soumission chimique.

Ces comportements, loin de respecter la gravité des affaires traitées, visent à décrédibiliser la victime et à minimiser son vécu aux yeux des médias et de l'opinion publique. Ils soulignent une tendance inquiétante à utiliser les plateformes numériques pour détourner l'attention des enjeux fondamentaux du procès, au détriment de la dignité des personnes impliquées. Cette dynamique pose la question de la responsabilité des avocats dans la manière dont ils choisissent de communiquer et d'interagir avec le public, surtout dans des affaires où la souffrance humaine est en jeu.

En tentant ainsi de renverser la responsabilité sur la victime et de décrédibiliser sa parole, les avocats des accusés adoptent une approche qui non seulement minimise la gravité des actes commis, mais qui inflige également une douleur supplémentaire à la victime.

Or, il est crucial de reconnaître que la responsabilité des actes de violence sexuelle incombe uniquement aux agresseurs. Les victimes ne devraient jamais être tenues responsables de la violence qu'elles subissent. Il serait donc d’autant plus important que le système judiciaire protège et soutienne les victimes plutôt que de les blâmer.

Une victime qui doit revivre ses agressions encore et encore

La justice française exige la présence de la victime ou de la personne qui accuse lors du procès, ainsi que sa participation aux interrogatoires menés par les juges et les avocats. Cependant, dans un procès de cette ampleur où une femme a déjà enduré tant de souffrances, il est aujourd'hui primordial de s'interroger sur les mesures mises en place pour protéger les victimes qui ont déjà tant souffert.

« Je suis une femme totalement détruite et je ne sais pas comment je vais me relever de tout ça », déclare Gisèle Pelicot au début du procès de Mazan. En effet, la violence inouïe qu'elle a subie constitue un traumatisme d'une gravité extrême. Tous les psychiatres s'accordent à reconnaître que, confrontée aux images et aux vidéos qui servent de preuves à charge lors de ce procès, la mémoire traumatique de Gisèle Pelicot risque de se raviver en lui faisant revivre les souffrances des viols qu'elle a subis.

De plus, entendre des faux témoignages et des mensonges peut s'avérer tout aussi traumatisant et peut perturber gravement les victimes. Malheureusement, la procédure judiciaire actuelle ne prend pas suffisamment en compte ces réalités psychologiques, mettant ainsi en danger les victimes déjà fragilisées. Ne serait-il donc pas temps que le système judiciaire évolue pour mieux protéger et soutenir celles et ceux qui ont été victimes de violences afin de leur permettre de témoigner sans revivre leurs traumatismes ?

Le courage de Gisèle Pelicot face à la justice

Néanmoins, s’il est une chose à retenir au milieu de cette tempête judiciaire, c’est la dignité et le courage de Gisèle Pelicot. Sa détermination à faire entendre sa voix et à se battre pour la justice est une source d'inspiration. Refusant le huis clos pour montrer au monde que la honte doit changer de camp, elle fait ainsi preuve d’un courage qui ne laisse de la place qu’à l’admiration. Elle n’hésite pas non plus à s’emporter face aux avocats de la défense qui tentent de la dévaloriser, prenant la parole de son banc : « Il est irresponsable, a t-elle ainsi répondu face aux accusations de Guillaume de Palma. Et si c’était sa femme ou sa fille ? Un viol est un viol. Je trouve ça abject, c’est tout ». Gisèle Pelicot ne sera pas la victime idéale à qui l’ont fait porter la culpabilité de ses agresseurs.

Le procès de Mazan est donc bien un procès hors-norme à bien des égards. Les mots de l’avocate Crépin-Dehaene pour le décrire semblent d’ailleurs assez justes : « C'est insupportable, j'ai l'impression de revivre le procès Outreau, mais en pire, où la vindicte populaire désignait les coupables dès le début du procès ». Comparer Outreau et Mazan est en effet pertinent, non pas pour les raisons avancées par cette dernière, mais plutôt parce que dans le cadre de ces deux procès, les victimes ont dû faire face à une grande violence et que leur souffrance a été systématiquement niée. Il est donc à espérer que le procès de Mazan permettra, à l’avenir, une plus grande protection des victimes et non plus seulement des accusés sous couvert d’une présomption d’innocence dévoyée et toute puissante.

Charline Wagner & Pascal Cussigh