Le supplice des mères protectrices – France soir

Le supplice des mères protectrices – France soir

Le supplice des mères protectrices France soir

« L’expression ‘mères protectrices’, forgée outre-Atlantique, désigne les femmes qui tentent de protéger leurs enfants d’un père violent, voire incestueux, cherchant à en obtenir la garde. » Photo de J W sur unsplash.com

Auteure : Caroline Bréhat, pour France-Soir

PSYCHOLOGIE – De nombreuses mères sont régulièrement désenfantées par des tribunaux français pour avoir dénoncé des violences paternelles. Bien que cette question commence enfin à intéresser les médias, les souffrances incommensurables de ces mères restent injustement occultées.  

« Aidez-moi à survivre, je n’arrive plus à tenir… ». C’est en ces termes qu’un nombre croissant de « mères protectrices » me contacte désormais. L’expression « mères protectrices », forgée outre-Atlantique, désigne les femmes qui tentent de protéger leurs enfants d’un père violent, voire incestueux, cherchant à en obtenir la garde. Ces femmes, qui sont immédiatement soupçonnées par les tribunaux d’être des « mères aliénantes » (atteintes du pseudo « syndrome d’aliénation parentale » ou « SAP» et de manipuler leur enfant pour en priver le père, se retrouvent alors sur le banc des accusés à la place de l’agresseur.  

« Le SAP contribue à l’invisibilisation des violences sexuelles faites aux enfants, de même qu’il rend impossible d’être un parent protecteur », dénonce la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE). De fait, cette accusation infamante contre laquelle les mères protectrices doivent se défendre jette un brouillard épais sur la réalité des violences qui les empêche finalement de protéger leur enfant. Un peu comme si les violences intrafamiliales, pourtant étayées par des statistiques effroyables, n’existaient pas ou étaient rares. Pire encore, nombre de ces femmes, punies par un transfert de garde, sont condamnées à ne plus voir leur enfant que lors de visites médiatisées. À la douleur immense d’être désenfantée s’ajoute donc celle d’être perçue comme une mère maltraitante et même folle (aliénante). De quoi perdre la raison, effectivement. Pourtant, même si certaines en perdent leur élan vital, beaucoup résistent néanmoins vaillamment par amour pour leur enfant. 

La « chasse à la mère aliénante » 

Cet article ne vise pas à expliciter pourquoi des situations aussi ahurissantes, et contraires à l’intérêt de l’enfant, se produisent dans des proportions effrayantes, a fortiori au pays des Lumières et des droits de l’homme. Ces raisons sont trop nombreuses et complexes pour les énumérer toutes et de nombreux auteurs l’ont déjà fait. Mais il existe un consensus parmi les chercheurs internationaux, notamment anglo-saxons, les plus chevronnés : si les juges aux affaires familiales donnent la garde à des hommes violents et dangereux, c’est surtout parce que les institutions françaises – à l’instar de leurs homologues américaines – sont formatées pour débusquer les mères aliénantes, plutôt que les agresseurs.  

C’est ce qui est arrivé à Aliénor, qui a d’abord amené Juliette, sa fillette de 4 ans, à l’hôpital parce qu’elle se frappait et se masturbait compulsivement aux retours de chez son père. Inquiet, l’établissement de santé fait immédiatement un signalement.

Mais lorsqu’à la faveur d’une nouvelle crise, Aliénor emmène Juliette aux urgences d’un autre hôpital, Aliénor se retrouve sur le banc d’infamie. L’assistante sociale ne lui pose aucune question sur la symptomatologie de Juliette, mais la mitraille d’interrogations sur sa relation avec le père de l’enfant. Aliénor va apprendre par la suite, interloquée, qu’elle est soupçonnée d’« instrumentaliser » Juliette, par le personnel de ce deuxième hôpital qui néglige totalement le point de vue du premier, pourtant renommé. Aliénor doit se battre contre l’accusation de « mère aliénante » qui pèse désormais sur elle. Le combat pour protéger son enfant passe à l’arrière-plan.  

On ne peut s’empêcher de penser à la lettre écarlate brodée sur le corsage d’Hester Prynne, la malheureuse héroïne de Nathaniel Hawthorne, stigmatisée parce qu’elle avait mis au monde un enfant illégitime. Il n’est d’ailleurs sans doute pas anodin que les ancêtres d’Hawthorne aient participé au funeste procès des sorcières de Salem, à l’origine d’une vague d’exécutions et d’emprisonnements arbitraires dans le Massachusetts, car c’est bien la représentation archaïque de la sorcière qui semble projetée inconsciemment sur ces mères protectrices, tant les tribunaux français (et américains) et leurs acolytes (services sociaux, experts, etc.) paraissent enclins à débusquer, coûte que coûte, cet avatar moderne de la sorcière. Peut-être n’est-il pas inutile de rappeler d’ailleurs que les sorcières du Moyen-âge étaient des soignantes, sage-femmes et herboristes. Des figures protectrices, en somme. Car avec le « SAP », les mères protectrices sont propulsées au royaume des inversions et des métamorphoses. 

Des mères surprotectrices 

Ce que je constate dans mon cabinet, c’est que ces femmes sont surtout, par la force des choses, « surprotectrices ». Elles s’identifient en effet aux angoisses de leurs enfants et sont terrorisées par la crainte de ne pas parvenir à les protéger. Nombre de mes patientes évoquent une double contrainte affolante : « Je suis terrifiée, je ne sais plus comment faire pour protéger mon enfant. L’emmener chez un médecin pour constater ses symptômes m’expose à la vindicte des services sociaux, mais ne pas le faire l’expose lui à de graves perturbations psychoaffectives », me confie Angélique, dont l’enfant a été placé chez le père car « la mère refusait de donner une place au père » selon les services sociaux, qui relèvent pourtant paradoxalement que l’enfant a « des difficultés à se détacher du discours paternel ». On ne sait plus bien qui est la figure aliénante : la mère qui tente de protéger sa fille de l’inceste paternel ou le père qui empêche l’enfant de se différencier de lui-même et serait donc… aliénant. Étrange renversement des culpabilités, qui, étonnamment, ne fait pas tiquer les juges.  (…)

La suite sur France-soir

6

You May Also Like